Le musée Vrak, ô stables trésors sous une eau sourcilleuse !

Isabelle
15.10.2024

Si j’emprunte à Paul Valery un vers de son magnifique poème, le cimetière marin, c’est qu’il a ressurgi dans mon esprit au moment où j’assistais, médusée, à la projection en omnimax d’un film en plongée dans les fonds marins de la Baltique dans le tout nouveau musée des épaves (Vrak en suédois) qui a ouvert ses portes, il y a quelques semaines à Stockholm. Durant ce voyage assez insolite qui dure une vingtaine de minutes sous le toit tranquille de la mer, une impression de sérénité et de paix vous enveloppe qui vous place comme en suspens, à l’abri des vagues et des fureurs de ce monde, dans une sorte de caisson d’isolation phonique qui permet au spectateur d’entrer plus facilement dans l’univers du musée : celui de la mer Baltique et des innombrables trésors qu’elle recèle dans ses profondeurs. Le musée est à la fois un hommage lyrique à la mer et ses secrets enfouis mais aussi une autre façon de mettre en lumière les fonds marins de manière interactive, extrêmement moderne et dynamique.

Un bâtiment moderniste en béton magnifiquement restauré

Pour accueillir ce musée et son âme singulière, il fallait un lieu et une architecture à la hauteur de ce projet ambitieux. C’est l’architecte Mats Fahlander qui a travaillé sur la restauration d’un bâtiment de style moderniste signé d’un grand architecte suédois, Paul Hedvist et construit en béton durant la seconde guerre mondiale pour abriter les bateaux de la marine suédoise :  Båthall 2, c’est son nom que l’on peut traduire par hangar à bateaux 2 est situé à Galärvarvet sur l’île de Djurgården, juste après le hangar 1 qui abrite aujourd’hui le musée Viking.

Fotograf : Fahlander-Arkitekter illustration Victor Mickelsson

Mats Fahlander, qui a travaillé avec des matériaux respectueux de l’environnement (béton écologique, chêne, acier et verre) tout en s’inspirant de l’univers de la mer, des bateaux, des fonds marins est nominé à la fois pour le ROT-Priset (meilleure restauration) et pour le prix du plus beau bâtiment en béton pour ce musée symbiotique où l’humain rencontre la mer. Il a conservé presque intacte l’architecture extérieure du bâtiment, notamment les fenêtres originelles, mais il s’est attaché à une certaine forme de continuité dans son travail à l’intérieur du bâtiment.

Et la première chose que l’on voit en entrant dans le musée est ce magnifique escalier de béton clair, encastré dans une structure en lattes de béton coulé d’abord (puis en bois au premier palier) inondé de lumière et d’une grâce métaphorique infinie car il permet très concrètement le passage de l’espace sous-marin et des fonds obscurs (auquel est consacré le rez-de-chaussée avec un éclairage minimaliste très soigné et efficace pour créer un certain mystère) à la surface extérieure de la mer miroitante et du soleil (les 10 000 objets exhumés y sont exposés ainsi à la lumière du savoir).

Il y a, par ce biais, et en termes de muséographie, une vraie entrée en matière dans l’univers du musée qu’il faut saluer car elle n’était pas évidente et elle fonctionne même sur des visiteurs, qui, comme moi, ne sont ni des amateurs de plongée sous-marine ni des passionnés d’archéologie, elle leur permet tout simplement d’entrer beaucoup plus aisément dans l’univers du musée.

La mer Baltique, un milieu naturel unique et un écrin très propice à la conservation

La mer Baltique, grâce à sa température basse et sa salinité très faible a permis de conserver intacts de nombreux trésors en son sein, à commencer par le fanfaronnant Vasa qui est un exemple internationalement reconnu de cette spécificité propre à la mer Baltique.

C’est la raison pour laquelle le musée a fait de choix de conserver dans leur milieu d’origine, certains objets qui ne sont présentés qu’en version hologramme dans le musée, et d’en exhumer d’autres moins fragiles pour les présenter plus concrètement au public.

Från utställningen Resande Man. Foto: Anneli Karlsson, Vrak/SMTM.

Ainsi dans une salle située au rez-de-chaussée (toujours sous la surface de la mer) et consacrée au mythique navire « Resande man », qui a fait naufrage en 1660 (dont on a retrouvé la trace en 2012 mais qu’on a préféré laisser au fond de la mer) , le tapis de sol reproduit les détails des fonds marins et il est possible, grâce à un jeu de miroirs, une projection 4D et un film de voir l’objet dans mais aussi hors de son milieu d’origine, un choix délibéré et assumé pour donner une autre perception et une autre dimension à ces épaves sous-marines. 

Cette mise en scène à la fois respectueuse et précise des fonds marins laisse à la mer Baltique tout son mystère tout en nous permettant de mieux l’apprivoiser sans la dénaturer, c’est intelligent et loyal mais surtout très innovant comme démarche muséographique !

Un parcours chronologique et ludique soigneusement documenté

Après avoir monté le bel escalier de béton, nous remontons donc à la surface pour découvrir des pièces exhumées des fonds marins et présentées de manière chronologique mais aussi thématique.
Des premières traces de l’âge de fer (il y a environ 10 millions d’années) au drame de l’Estonia (1994) en passant par les navires marchands moyenâgeux et les navires de guerre, la mer Baltique livre enfin ses secrets et nous restitue, dans un parcours très pédagogique et documenté, ce qu’elle a dans le ventre.  

En tout plus de 10 000 objets sont exposés dans le musée, une collection vaste et assez représentative de toutes les facettes et fonctions de la mer Baltique (commerce, échange, guerre, tourisme). L’exposition raconte l’histoire mouvementée de la Mer Baltique qui a porté sur son dos toutes sortes de voyageurs (des marchands, des explorateurs, des soldats), les a parfois malmenés jusqu´à les engloutir dans son ventre mais pour aujourd’hui nous en restituer, le témoignage riche et bouleversant. 
Après ce grand voyage à travers les siècles, une autre partie du musée très pédagogique permet aux petits visiteurs (mais aussi aux grands restés petits) d’expérimenter les techniques et méthodes d’investigations de l’archéologie marine : la photographie sous-marine, l’ostéologie, etc…

Cette section est aussi bien entendu très bien documentée et assurément très instructive pour les archéologues marins en herbe mais aussi pour les passionnés de la mer. Il est possible aussi dans cette partie du musée d’accéder (via de nombreux tiroirs débordant de propositions) à des archives sur différents thèmes que l’on peut sélectionner selon ses intérêts personnels.

N’hésitez pas à visiter ce musée très novateur !

Informations pratiques

Le musée est situé à Djurgården, Djurgårdsstrand 17. Arrêt de tram/bus : Gröna Lund/Liljevachs.
Il est ouvert tous les jours de 10h à 17h + nocturne jusqu’à 20h le mercredi.

Fermé les : 21 – 22 juin 24 – 25 décembre 31 décembre, 1 janvier

Le billet d’entrée coûte 185 sek à partir de 18 ans.
Billet Combi Vasa + Vråk : 310 sek à partir de 18 ans

Plus d’infos sur le site du musée : www.vrak.se